lundi 22 mars 2010

Un homme assis au fond


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Une banquette en moleskine couleur bordeaux, un air de jazz déjà entendu quelque part voguant dans une lenteur nonchalante, des volutes mentholées flottant librement, de somptueux lustres suspendus sur de grosses barres métalliques, des verres à pieds se dévisageant leurs reflets brillants, de anciennes daguerréotypes encadrés comme d’authentiques ornements flanqués sur des murs centenaires, quelques gravures d’artistes contemporains méconnus, les effluves suaves d’un malt ambrée titillant les narines, puis tout au fond, un homme silencieux, assis sur une des banquette, savourant sa troisième tige de cigarette dans une atmosphère tiède et vaporeuse de fin de matinée. Sur sa table, un fond de verre et sa choppe, un cendrier et ses deux mégots, un carnet Clairefontaine bleu tout neuf et son odeur particulière, une plume Mont-blanc et la Plaisanterie de Milan Kundera des éditions Folio. De son visage d’une expression froide et mélancolique, l’homme réfléchit, son menton fuyant prenant appui entre les paumes de ses deux mains, puis il se penche sur son carnet ouvert et écrivit avec une certaine indolence quelques phrases sur la beauté de l’éphémère et ce temps qui lui échappe comme par enchantement. S’arrêta un instant. Relut sa maigre production et laissa une mine d’insatisfaction pénétrer ce visage qui épousait des villages lointains depuis longtemps désertés. Il y avait quelque chose de beau, d’insoutenable, d’insaisissable, de fatidique dans cette mélancolie, quelque chose sur lequel le temps n’avait plus aucune emprise et la laideur ne pouvant plus faire échos. L’homme fit un léger mouvement de recul et repensa au soir dernier, et à cette fille d’un soir. Il se dit que toutes les filles ont été un jour ou l’autre la fille d’un soir, même dans leur rêve, comme les hommes le sont à un moment donné l’homme de plusieurs femmes, souvent dans leur imaginaire. Il ne se souvint pas grand-chose de cette fille, ni même de son prénom, juste de ses petits seins, de sa respiration haletante et de ces couinements aigus, ces choses ne s’oublient pas. Non jamais. Puis il essaya de se souvenir comment ils se sont rencontrés et se rendit compte que l’évènement que pouvait représenter une première rencontre (même si ça devait être la dernière) lui avait parut extrêmement important dans sa tendre jeunesse, il s’en émouvait des semaines entières mais à présent cela lui semblait complètement insignifiant et tomber tout bêtement dans les nasses de l’amnésie sélective. Elle devait s’appelait Irina, Elena ou Irma, un prénom russe ou slave, un prénom qu’aurait pu porter l’héroïne d’un roman de Tolstoi, un prénom qui allait bien avec le genre de fille d’un soir, il l’appellerait Elena, c’est un prénom quelque peu romanesque. Il aspira à nouveau une grosse bouffée de sa Marlboro en la serrant mollement entre le majeur et l’annulaire de sa main droite comme le firent Sartre de son vivant ou Houellebecque aujourd’hui - il voulait se prendre un peu comme ces écrivains en singeant leur manière de maintenir leur cigarette, bien que dénué de leur génie, manière de faire partie de cette caste impénétrable - appela le serveur, un homme grand, tout maigre, le visage anguleux et commanda une nouvelle bière. Il se mit à réécrire quelques phrases qu’il entendit ici et là dans des conversations qui ne l’appartint pas où qu’on lui avait imposé depuis quelque jours, de jolies petites perles du genre : « je suis extrêmement malheureuse, je n’ai plus personne à qui parler, je n’ai plus que mon chat à qui parler, elle s’appelle capsule ». En repensant à cela il se mit à se dire en souriant: « qui devais-je réellement plaindre elle ou le chat ? » ou dans le registre de la déclaration choquante : « Tu sais, tu crois me connaitre mais est-ce que tu sais qu’à douze ans, j’aimais les femmes, j’étais déjà une vraie lesbienne…oui j’ai couché avec des femmes avant les hommes »…. Ces phrases, qui lui redonnaient tant d’espoir et l’envie de vivre encore mille ans, figureraient inévitablement dans son prochain roman. L’homme était donc écrivain ou rêvait de l’être, dans un pays où l’on ignorait les poètes. Les poètes sont des êtres inutiles, maudits parce qu’ils perdent leur temps à sublimer la fadeur de la réalité, les enrobent avec de jolies mots, de jolies phrases ou mêmes pire avec des mots abstraits comme destin, abime, éphémère, désarroi…etc, ces mots qui n’avaient plus vraiment aucun sens dans un pays qui git dans une somnolence persistante. L’écrivain ne sert tout simplement pas à grand-chose. Tel était son sort.


« O Toi négligeant et éphémère destin !! Pourquoi donc nous laisses-tu échoir dans cet immense abime du désarroi ! »


Alors que le serveur vint poser sa choppe de bière mousseuse, un couple de français vint passer prés de lui, tout parfumés, tout bien habillés. L’homme, imposant, blond, un visage qui inspirait une fausse assurance et sa femme, d’une blondeur diaphane, grande, mince, des yeux verts olives, de fines lèvres qui semblaient être faite pour embrasser dans un film de Cedric Klapisch. Elle était d’une beauté raisonnable derrière ses pommettes poudrées et ses yeux aux longs cils crayonnés discrètement au mascara. Des filets de veines verdâtres fendillaient ses mains d’une extrême beauté et trahissaient son âge, la cinquantaine. Le couple était fascinant à voir, il y avait quelque chose de l’ordre du « préfabriqué pour » dans ces deux personnages. Deux personnages dont l’existence se plaquait sur le marbre froid de l’inauthenticité, du dupliquable, de l’interchangeable, un couple Ikéa version haut de gamme en somme. Ils parlaient de réservation, de billet d’avion numérique, d’Ile de Malte, de « pas cher du tout », surtout la femme. L’homme écoutait et acquiesçait de plusieurs hochements de têtes. L’écrivain maudit en déduisit qu’ils allaient partir en voyage, en vacance sans doute bientôt. L’existence de beaucoup d’être humain (développé) finalement ne s’articule qu’autour des vacances, de ces quelques semaines qui justifient souvent dix mois de stress et d’anxiétés. Le reste du temps, ils ne vivent pas, ils se contentent de gérer l’éphémère, ce temps qui les échappent comme la beauté du sable fin entre les doigts, il faut lui remplir la panse, le bourrer d’évènement, lui rendre boulimique de contexte, de circonstance, de situation, d’imprévisible, d’impondérable, de rendez-vous, sinon c’est foutu, c’est le vide, c’est l’angoisse. La nature n’a pas horreur du vide, c’est faux, ce sont les hommes qui ont horreur du vide. La raison d’être de l’éphémère c’est de nous faire faire le plein de tout un tas de choses qui éliminent et neutralisent ce temps fuyant, évanescent, mêmes avec des petits riens médiocres et inutiles. La beauté de l’éphémère vaut la hantise qu’ont les hommes pour ce phénomène qui se répète et se succède à elle-même comme un cercle vicieux, un cycle irrépressible et perpétuel. Notre écrivain au visage mélancolique était content de toutes ces idées au relent houellebecquienne. Il reprit une gorgée de son ambrée et tira une autre bouffée de sa menthol satisfait comme un général barbu venant de remporter une première bataille. Pris le temps d’apprécier cet instant qu’il décréta comme savoureux, beaucoup mieux qu’une partie de jambe en l’air avec une fille d’un soir qui s’appellerait Elena. Il jeta un coup d’œil sur sa grosse montre métallique estampillée Tissot. Midi quinze. Ramena ses cheveux en arrière d’un geste las. Epousseta légèrement sa chemise et se lampa beaucoup plus longuement une gorgée de sa belle ambrée. La brasserie emplissait. Deux types, la trentaine venaient d’arriver, le bonheur d’une existence impensable se lisait sur leur visage et dans la gourmandise de leur conversation. L’un, le brun ténébreux portait une chemise Vichy bleu et des John loeb peausserie à double patine, l’autre, le roux vénitien, une chemise rose Ralph Lauren et des Paul Smith blanches immaculées, sans doute deux expatriés qui vivaient comme des ministres fraichement corrompus, l’élégance en supplément, et trompaient leurs femmes de temps à autres. Juste après nos deux jeunes hommes sortis tout droit d’un roman de Breat Easton Ellis, un autre couple venait d’arriver, cette fois-ci, beaucoup plus benettonien, l’homme un italien sans doute, le teint hâlé, son accent assez fort le trahissait, flanqué de sa maitresse, son amante, sa femme ou sa prostituée (ou les quatre à la fois), la peau sombre et le regard détaché, juché sur des talons à semelles compensées, les doigts des pieds vernissés de rouge sang. En réalité il lui était toujours difficile d’identifier quel était le statut exact de ces femmes quand elles accompagnaient un occidental suggestivement. Il ne pouvait jamais s’empêcher de l’imaginer (c’était comme un espèce de jeu, comme le font certains abrutis qui s’amusent à noter les femmes sur leur physique et leur manière de s’habiller) surtout quand il se trouve dans ces lieux communs propice à une certaine mixité raciale dans laquelle s’auto-congratulait tout ce petit monde pitoyable de complaisance, de l’existence d’un cosmopolitisme naissant dans cette jeune nation usée et désabusée. Il ne pouvait plus se permettre d’être péremptoire dans ces jugements, puisqu’ il lui est arrivé plus d’une fois de se tromper. Il se souvient de la fois où il prit la compagne d’une de ses connaissances respectables pour une vraie prostituée (elle en avait tout l’air, le genre qu’on a envie de prendre un soir et dont on a envie de payer beaucoup plus qu’une misère) jusqu’au moment où l’impétrant lui fit savoir que c’était sa nouvelle fiancée et qu’ils envisageaient de se marier. Il réfléchit s’il allait prendre son déjeuner dans le même endroit. Il n’a pas écrit grand choses. Il se maudissait l’écrivain. Deux heures, mêmes pas un aphorisme cinglant sur le temps, l’amour, la haine, le beau, le laid, les hommes, les femmes, la décadence, l’apparence, l’éphémère. Il appela le serveur, demanda l’addition, mit ses affaires dans sa besace en cuir de chevreuil, attendit quelques instants, laissa quelques billets et s’en alla glissant un sourire de convenance aux deux playboys (le brun et le roux vénitien) qui étaient installés juste en face.

mardi 2 mars 2010

Les jeunes tananariviennes

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Ces espèces là ne sont pas vouées à une immédiate extinction, ces espèces......ce sont les jeunes tananariviennes d’aujourd’hui, elles se distinguent très largement de leurs ainées de dix-quinze ans. Il est bien vain et inutile de porter la comparaison jusqu’à une génération plus lointaine, celles de leurs génitrices, qui méritent tout un autre traitement. Ces filles ont je-ne-sais-quoi d’énervant et de fascinant à la fois. Pour un homme dont la maturité de l’âge lui inflige le devoir de s’intéresser à bâtir une vie conjugale irréprochable et harmonieuse, ces filles sont des parasites envahissants et inévitablement perturbants, de vraies anti-dotes à la platitude et l’insipidité de certaine relation amoureuse. Du haut de leurs talons brillants - vrai faux Jimmy choo - elles marchent brinquebalante en se donnant des airs de grandes dames, attifées de leurs décolletés plongeons, elles vous suggérent leurs seins ronds aux tétons chocolat. A peine sortie de l’âge post-pubère, elles vous toisent, vous enferment dans des catégories, vous dissimulent avec un art indigeste de la manipulation leur profonde niaiserie et vous regardent avec ce regard méprisant des jeunes gens qui n’ont pas achevé de se constituer un capital « confiance-en-soi ». Elles sont moyennement plus grandes, le visage beaucoup plus gracieux et plus fins que leurs ainées, les lèvres acidulés, les jambes interminables, leur petit cul légèrement remuant, leur minauderie agaçant, leur cosmétique exagérée, ces filles étonnent par leur espiègle effronterie et leur divine coquetterie. Elles dégoisent comme de vraies mégères de tout comme de rien en confondant profondeur et légèreté. Avec une aisance étonnante, elles revendiquent avoir une expérience sexuelle ahurissante et elles ne manquent pas d’avouer au creux de votre oreille droite des envies qui vous font répéter-comme pour expier ces impudicités - des bribes de « notre Marie mère de Dieu » et ensuite vous font saliver d’excitation. Dans les rues, les jeunes tananariviennes ne veulent ressembler à personne mais elles se ressemblent toutes. Elles veulent se fondre dans la masse en se faisant remarquer mais elle ne vous regardent pas, elles ne vous voient pas, elles marchent avec cet air un peu perdu, en replaçant une mèche, de ne pas savoir où elles vont, quelque part elles doivent encore se chercher en croyant s’être trouver, quelque part ils leur manquent quelque chose, peut-être me dis-je un petit peu de l’assurance altière, celle qu’on retrouve chez les jeunes parisiennes, la flamboyance chevillée au corps et à l’âme, propre aux jeunes milanaises, la vivacité trempée des jeunes new-yorkaises, la nonchalance exquise des jeunes madrilènes et l’allure éthérée des jeunes blondes de kiev ou de leningrad… toutes ces femmes servies comme sur un plateau de crustacés par les papiers glacés des magazines hyperformatés de mode qui servent de parangon à leur caprice, de miroir à leur manque d’assurance et de modèle de substitution à la vacuité de leur propre existence ou peut-être bien rien de tout cela. Fait certain et irrécusable, ils leurs manquent quelque chose, celle que la nature, l’imagination, les saisons, l’histoire les en a dépourvu….mais c'est comme ça qu'on les aimes ces jeunes tananariviennes.